Une spiritualité pour des temps étranges
Le P. Brendan McManus sj, jésuite irlandais puise dans la spiritualité de saint Ignace de Loyola pour formuler dix conseils afin d’affronter la crise du Covid-19.
Dans son introduction à ces dix conseils, le P. Brendan McManus sj écrit :
“Nous vivons un moment particulièrement éprouvant dans l’histoire de l’humanité. La crise du coronavirus est pour beaucoup source de préoccupations. Ils s’interrogent sur leur manière d’agir et sont minés par la peur.
Certains auront tendance à se comporter de manière égoïste ou irrationnelle. Leurs émotions les empêchent souvent de prendre de bonnes décisions.
Nous avons déjà vu des exemples de personnes qui se comportent de manière irresponsable, achetant et accumulant par panique au mépris des règles d’hygiène de base comme le respect des distances ou le lavage des mains. D’autres se font les chantres de théories de complot, d’autres encore spiritualisent le problème en y voyant des fléaux envoyés par Dieu et pensent naïvement que la foi en Dieu seule les protègera contre le virus.
Mais il y a aussi des exemples de véritable héroïsme (surtout de la part de ceux qui sont en première ligne), de bonne volonté, de solidarité humaine et de courage. Il y a toujours une issue, les peuples qui sont dans les ténèbres trouvent toujours le chemin de la lumière.
Saint Ignace de Loyola est un survivant : il a survécu à une blessure mortelle, à la convalescence, à une vie passée à mendier sur des routes et à une époque de grandes incertitudes. Il a développé une approche pour vivre dans les difficultés, basée sur son expérience et en utilisant des règles de base. En m’appuyant sur ses idées, j’aimerais humblement offrir quelques réflexions et conseils pratiques qui, je l’espère, seront de quelque utilité.”
Conseils 1 et 2
1. Vivre dans le réel
La première chose est d’accepter cette nouvelle réalité, cette nouvelle “normalité” qui s’impose à nous. C’est une transition douloureuse, un changement difficile à mesurer, alors que nous restons souvent accrochés au passé. Des choses élémentaires de la vie quotidienne comme se serrer la main, sortir ensemble et même aller à l’école ou au travail sont remises en question de manière radicale. La phrase bien connue d’Ignace “trouver Dieu en toutes choses” exige de nous que nous trouvions la paix et habitions cette réalité nouvelle que nous n’avons pas choisie. La première chose est donc d’accepter cet état de fait comme un nouvel état “normal”. Nous devons suivre de nouvelles consignes et nous sommes tous appelés à changer certains comportements pour nous protéger et surtout pour protéger les autres, en particulier ceux que l’on considère comme plus vulnérables ou qui ont une santé fragile. Ici, les sciences médicales dictent notre approche et c’est d’autant plus légitime que ce sont les institutions médicales qui supportent l’essentiel du poids de la situation. Ce n’est pas le moment de développer des théories particulières, des approches alternatives ou des méthodes qui n’ont pas fait leurs preuves.
2. Affronter tes peurs
Il est normal de ressentir des peurs profondes, de l’angoisse, et de se sentir préoccupé face à la situation actuelle, mais il est tout aussi important de ne pas se laisser dominer par elles. La peur n’est pas bonne conseillère et ne doit pas nous guider, car elle s’avère en fin de compte paralysante. Saint Ignace de Loyola nous recommande d’agir directement contre des forces négatives comme la peur, lesquelles ne mènent pas à une bonne prise de décision. Il utilise pour cela l’expression agere contra, ce qui signifie “agir à l’opposé”. La clé ici pour saint Ignace de Loyola est d’aller à l’encontre de ces forces, d’être proactif et de ne pas baisser les bras. On pourrait résumer cela en quelques mots : “ressens la peur et agis ensuite de la meilleure manière possible”. Considère que tu es mortel et combien la crise actuelle met en relief la fragilité de la vie. Le paradoxe est que, si nous acceptons cela, nous pourrons vivre la vie en vérité et agir comme il convient. Chaque nouveau jour est un don, on l’emprunte à l’avenir. Le fait que nous existions est déjà en soi un miracle. Normalement, nous sommes tellement habitués à vivre que nous prenons le don de la vie comme un dû. Or c’est le divin qui nous tient et nous aime. Prenons le temps pour considérer et laisser descendre en nous cette pensée vivifiante. Il n’y a pas à en avoir peur. En fait, c’est même l’occasion de mettre de l’ordre dans nos affaires, de faire le point, de reconnaître échecs et triomphes et d’y percevoir la main de l’Esprit Saint. Réfléchissons à la question posée par la poétesse Mary Oliver : “Que feras-tu de ta vie, sauvage et précieuse ?”